Jacques Roger 

En 1981 après avoir terminé ma soutenance de thèse de troisième cycle sous la direction du professeur René Taton, ce dernier m'a encouragé à réfléchir à un sujet pour préparer une thèse d'état à la Sorbonne . Un an plus tard  et d'après les conseils  du professeur Taton je me suis inscrite à  l'Université de Paris I Sorbonne , sous la direction du professeur Jacque Roger qui occupait le premier rang des spécialistes  de l'histoire des sciences . 

J'étais son élève de 1982 à 1990  (l'année de son décès ) . À chaque année , il m'accordait deux ou trois rencontres  durant lesquelles il m'écoutait attentivement et me donnait son avis et ses précieux conseils . Tellement conscient de mes recherches et respectant mon déplacement annuel du Liban jusqu'à Paris, il m'accorda une bourse de trois mois au CNRS à Paris pour poursuivre mes recherches . C'était les trois mois de l'été 1989 où je l'ai rencontré à deux reprises et malheureusement  c'était  nos dernières rencontres . Je le vois devant moi me serrant la main et me souhaitant une bonne chance . C'était un professeur pas comme les autres. 

Vu que je suis dans l'impossibilité de décrire les qualitées de ce grand professeur je réfère nos chers lecteurs et lectrices à l'hommage qui lui  a été fait  dont je copie une partie.

 


DU 

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE 

- Troisième série - 

T.IV (1990)
Hommage à Jacques ROGER.

                      COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO)

                                                      (séance du 23 mai1990) 

                                                           I-      Goulven Laurent

Le Professeur Jacques ROGER.

Jacques Roger est né à Paris le 24 octobre 1920. Le grand spécialiste de renommée mondiale de l'Histoire des Sciences qu'il allait devenir avait commencé par faire des études de Lettres classiques au Lycée Louis-le Grand et à la Sorbonne, et c'est dans cette discipline qu'il avait passé son agrégation en 1943. C'est aussi comme Enseignant de Littérature française qu'il a exercé ses talents d'Universitaire pendant une quinzaine d'années. Après avoir été en effet Professeur de français aux lycées de Douai, de Lille, de Suresnes et au Collège Stanislas, il est devenu Assistant de Littérature française à la Faculté des Lettres de Poitiers en 1954. Après avoir enseigné à la Faculté des Lettres de Tours, dont il devint le doyen en 1965, il a terminé cette partie de sa carrière en octobre 1970 comme Professeur de Littérature française en Sorbonne.

Mais comme un de ses maîtres lui avait suggéré, au moment où il envisageait de préparer une thèse, de se consacrer à l'étude de BuffonJacques Roger prit une orientation intellectuelle qu'il n'avait pas prévue dans sa jeunesse. Au contact de l'illustre naturaliste du XVIIIème siècle, Jacques Roger commença à s'intéresser à l'Histoire de la Vie, et il s'y passionna au point de lui consacrer le reste de ses recherches. Sa thèse sur les Sciences de la Vie dans la pensée française du XVIIIème siècle, soutenue avec éclat en 1963, et publiée la même année, sous la forme d'un gros livre de plus de 800 pages, reste, trente ans après, un ouvrage de référence, dont on s'apprête à donner une troisième édition française (après une seconde en 1971), et une édition anglaise. L'importance de ce travail plaçait immédiatement Jacques Roger au premier rang des spécialistes de l'Histoire des Sciences, assez peu nombreux à l'époque, si l'on tient en compte le fait que l'étude de cette discipline était surtout, jusque là, entre les mains des philosophes. On peut considérer par conséquent que Jacques Roger a été en France le premier à ouvrir cette voie d'étude originale et féconde, qui apportait à l'étude des textes scientifiques anciens la rigueur et l'exactitude épistémologiques de l'historien. Il va sans dire que ces qualités lui valurent quelques inimitiés et critiques auxquelles, en grand seigneur de l'esprit qu'il était, Jacques Roger négligea d'accorder quelque importance.

Ses travaux personnels s'orientant de plus en plus dans cette direction, il était normal qu'il pût aussi désirer mettre au service des étudiants ses talents éminents et confirmés d'Enseignant, et c'est ainsi qu'il obtint la création d'une Chaire d'Histoire des Sciences à l'Université de Paris I Sorbonne, dont il devint le premier Professeur titulaire en 1970.

De cette date à sa mort, Jacques Roger s'affirma, dans la discipline qui était désormais la sienne, comme étant l'un des maîtres les plus prestigieux, tant au plan national qu'au plan international. En fait, c'est lui qui, en France, a donné à l'Histoire des Sciences de la Vie, ses lettres de noblesse. En plus des cours qu'il donnait en Sorbonne, Jacques Roger assurait la direction d'un séminaire de recherches consacré à ces matières. Le noyau restreint du début (auquel j'eus l'honneur et la chance d'appartenir) s'est étoffé progressivement, et la qualité de l'animation de Jacques Roger a attiré un nombre important d'étudiants et de chercheurs, qu'il a su réunir en une sorte de famille, au sens élargi du terme, dont la caractéristique était (et reste) la largeur d'esprit et le respect des points de vue différents sur tous les grands sujets, en particulier ceux de l'Evolution, qui vont du Lamarckisme au Darwinisme.

L'intérêt qu'il portait à ces problèmes de l'Histoire de la Vie a attiré Jacques Roger vers le Comité français d'Histoire de la Géologie dès l'annonce de sa création, à laquelle il a ainsi participé : l'Histoire de la Vie est en effet inséparable de l'Histoire de la Terre. Les participants aux séances de ce Comité ont pu apprécier à diverses reprises la qualité des interventions de celui qui était l'un de leurs vice-présidents : en quelques mots éclairants, Jacques Roger les amenait à mieux situer les problèmes de la Géologie dans la trame plus générale de l'histoire de la pensée scientifique.

Le Professeur Jacques Roger se distinguait par sa vaste culture, et une grande clarté d'esprit et d'exposition. Ses étudiants admiraient aussi chez lui un grand équilibre de jugement et une remarquable indépendance d'esprit, qui leur permettaient de replacer les hypothèses et les théories dans leur contexte historique, et par conséquent dans leur relativité, et d'échapper ainsi à toute école et à toute mode intellectuelle. En fait, et pour tout dire, il considérait non seulement le passé, mais aussi le présent, avec l'expérience et le regard de l'historien des sciences qu'il était devenu.

Jacques Roger jouissait d'un grand prestige à l'étranger : en Angleterre, il avait été "fellow" à Oxford ; aux Etats-Unis, il assurait régulièrement un enseignement, et il y était devenu l'ami des plus grands historiens des sciences, et des plus grands naturalistes, en particulier d'Ernst Mayr ; il avait donné aussi des conférences en Italie, en Allemagne, en Suisse, etc.

Le dernier Séminaire d'Histoire des Sciences dirigé par Jacques Roger a eu lieu le jeudi 15 février 1990 ; tombé malade quelques jours après, il s'est éteint dans la nuit du dimanche 26 mars, à son domicile parisien, entouré de l'affection de sa femme et de ses enfants, qui ont tenu à ce qu'il conservât, jusque dans ses derniers moments et dans son agonie, le cadre familier où il avait vécu heureux et travaillé. Ses obsèques ont eu lieu le mercredi 28 mars, à Sury-en-Vaux (dans le Cher), où il passait ses vacances dans sa résidence secondaire, et où il repose en attendant la résurrection des morts à laquelle il croyait.