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Deux traités arabes d'orgue 

Les textes de ces deux traités ont été publiés pour la première fois, en arabe, par le père Cheiko en 19061, les manuscrits paraissaient remontés au XIIe siècle, rassemblent une vingtaine d'essai sur le géométrie, l'astronomie, la dynamique, la musique et d'autres sujets, accompagnés de dessins dont certains sont coloriés. Outre le manuscrit utilisé par le P. Cheikho, deux autres sont connus à l'heure actuelle2

Les traités intitulés : Épître de Mauristos le savant ... Or l'article arabe (li) peut se traduire aussi bien par  "de" que par "a". Ainsi on doit lire "Épître à Moristos le savant". Ce fait nous porte à penser que l'auteur de ces tratiés est un musulman de Bagdad compilateur des oeuvres de Philon et de Ktésibios. D'ailleur souvent Mauristos est confondu avec Ktésibios selon l'écriture du nom en arabe3

Nous empruntons la traduction du texte arabe à Jean Perrot 

Epitre à Muristos sur la construction de l'Orgue à tuyaux d'anches pour tous les sons merveilleux 

  Et c'est cela qui vous fait entendre un son merveilleux, vous faisant pleurer violemment. Et vous fait entendre un son contraignant au sommeil, car celui qui l'entend s'endort sur place. Et vous fait entendre un son apte à vous chagriner ou à vous divertir. Et vous fait entendre un son qui enchante et transporte les sens. Donc, si vous voulez réaliser cet instrument, prenez trois outres de peau bien tannées et bien souples, et n'y laissez pas s'y mettre la bitume(?). Alors cousez entièrement la tête de deux de ces outres, de façon à les rendre étanche à l'air, et laissez la troisième outre avec sa tête non cousue. Placez alors au milieu l'outre dont la tête n'est pas cousue , et chacune des deux autres à droite et à gauche.  Alors percez le côté (intérieur) de chacune des outres latérales de quatre trous; de même percez l'outre du milieu, de chaque côté, de quatre trous exactement opposés aux trous des outres latérales. Alors ces trois outres sont marquées A,   B, et J ; l'outre du milieu est B 4

  Prenez alors des tubes de cuivre fort, d'un diamètre voisin de celui d'un bâton et d'une longueur approximative de 1 zira'5 , et servez - vous en pour unir les outres l'une à l'autre; et ces tubes sont appelés ''les Passages du Vent''. Et que ces trous et ces tubes soient de calibre différent en mesure et en arrangement, suivant les rapports que je vais vous indiquer.

   Que le premier trou de l'outre de droite qui regarde l'outre du milieu soit du calibre que vous voudrez: Le calibre de ce premier trou est le point de départ de tous les autres et des tubes correspondants; le premier tube est marqué D. Le second, son voisin, a un calibre double du premier : Il est marqué H . Et le troisième a un calibre triple du premier : c'est le tube marqué W. Et le quatrième a un calibre quadruple du premier : c'est le tube marquez Z. Ainsi le calibre de chaque tube est le même que celui du trou correspondant. Comprenez cela. 

  Et il faut que les trous de l'outre de gauche observent les mêmes rapports. Si le calibre du premier trou de l'outre de gauche est le même que celui du premier trou de l'outre de droite, les autres trous ont des rapports correspondants. Mais si vous donnez au premier trou de l'outre de gauche un diamètre moitié moindre que celui du premier trou de l'outre de droite, vous ferez les autres trous à proportion. Et si le premier trou de gauche est plus grand que celui de droite, vous observez les mêmes rapports pour les autres trous.

  Cela signifie que, pour les tubes D et K, on fixe à volonté les calibres, soit égaux, soit inégaux. Alors on proportionne le tube H au tube D suivant le rapport 2/1, et de même le tube Y au tube K. Le rapport du tube W au tube D sera  3/1, et ainsi pour les tubes T et K. Le rapport du tube Z au tube D sera.4/1 , et ainsi pour les tubes H et K. Et voilà les proportions respectives des tubes qui sont appelés ''Les Passages du Vent''.  

             

      Fig - 1 -                                                Fig - 2 - 

  Alors montez sur la tête de l'outre du milieu un tube d'une longueur de 1 zira' , faisant saillie à l'extérieur; son calibre est celui d'un dirham6. Fixez-le de façon qu'il n'y ait aucune fuite d'air: c'est le tube BL.

  Alors perforez le corps de chaque outre  de quatre trous, et que la distance entre ces  trous soit rigoureusement égale. Que ces trous soient, pour la taille, le calibre et la mesure, équivalents au calibre des tubes appelés les "Passages du Vent", et qu'il observent les mêmes rapports. Alors montez sur ces trous des tuyaux de cuivre, dont les calibres et le rapports correspondent aux trous.

Et que chaque tuyau ait une longueur de 1 zira'. Disposez  ces tuyaux verticalement par rapport aux outres; et l'on compte douze tuyaux. Ceux de Poutre A sur la droite sont marqués M,N,S,X; ceux de l'autre B, au milieu , F,S,Q,R; ceux de l'outre J, sur la gauche, Sh,T,Th, Kh.

  Alors disposez solidement, à l'extrémité de chaque tuyau, une ''boîte à sons ''7, et vous obtiendrez douze sons. Alors, à ces douze tuyaux munis de leur ''boîte à sons'', vous adaptez, au milieu de leur longueur, des robinets, solides et étanches, qui s'ouvrent ou se referment pour produire les sons. Voilà l'essentiel de la fabrication de l'instrument. Comprenez cela. 

Alors pour en revenir au tube qui étaient dans la tête de l'outre du milieu (ce tube est marqué BL) , il constitue l'entrée du vent. Montez-y une petite outre, solidement adaptée à l'extrémité L du tube: Cette outre est marquée Dh. Alors insérez, dans cette petite outre, quatre tubes d'une longueur de 3 shibr (empan)1 et d'un calibre adapté aux lèvres des souffleurs. Ces tubes sont marqués D,Z,S et Gh.

   Alors placez l'ensemble de l'instrument sur une charpente et disposez des places pour faire asseoir les hommes qui doivent souffler. Ce qui signifie que  si vous voulez jouer une musique douloureuse, fermez les robinets qui sont sur les tuyaux pour qu'il n'en sorte aucun vent, excepté celui du deuxième tuyau de la seconde outre, le même tuyau de la première outre et le même tuyau de la troisième outre. Ce qui signifie que vous fermez tous les robinets sauf N, S et T. Et quand les hommes soufflent, il faut que leur souffle soit paisible, modéré en intensité, car personne ne peut entendre ces sons sans que le chagrin l'envahisse; puis le calme apparaît et le sommeil arrive au point qu'on s'endort debout2.

   Et si vous voulez jouer de la musique qui porte à la vigilance et au courage, alors ouvrez le robinet du premier tuyau qui est en haut de la première outre, celui du second tuyau de la deuxième outre - et c'est encore un tuyau du dessus - et celui du troisième tuyau de la troisième outre. Ce qui signifie que vous ouvrez les robinets M,S,Th. Alors on devra soufflez avec violence pour que les sons produisent un effet incitant au courage et à la vigilance.

   Et si vous voulez susciter du plaisir et de l'activité à quelqu'un jusqu'à ce que ses sens soient transportés au point de pleurer et de gémir, alors ouvrez les robinets des tuyaux de la seconde rangée et ceux des tuyaux de la troisième rangée, ce qui signifie que les robinets N,S,T,S,Q,Th sont ouverts. Réglez le son en soufflant avec modération . Ainsi apparaissent chez l'homme joie, allégresse et engourdissement de l'intelligence; il pleure sans savoir pourquoi il pleure.

 

1 - Al-Mashriq, Beyrouth, p. 444-458

2 - Le manuscrit de Beyrouth se trouve au collège Grec Orthodoxe des Trois Lunes; le second est au British Museum (Or, 9649), le troisième à la Bibliothèque  Saint-Sophie de Constantinople (2755, III- IV) . Il est à signaler que la description de l`orgue des Banu Musa se trouve dans ces mêmes manuscrits .

3 - Les chroniqueurs sont en désaccord sur ce Mauristos.

4 - Ces lettres correspondant aux caractères arabes du dessin illustrant le manuscrit de British Muséum (voir Fig 1 )

5- zira'  -unité de mesure de longueur - vaut 54 cm (ذراع)

6 - Dirham - pièce d'argent d'un diamètre environ de 2 cm

7 - Il s'agit probablement de l'anche, placée à l'extrémité inférieure des tuyaux