Source Jean Perrot - L'orgue de ses origines héllénistique à la fin du XIIIe siècle

L'orgue dans le poème de St Issac

Le curieux poème d'Issac d'Antioche (milieu du Ve siècle ), écrit en langue syriaque , parait bien être le récit d'un témoin oculaire (1):

                     " Poème de Saint Issac, au mois où il a été dans la ville d'Antioche , sur la grâce de la confession de Dieu." 

  1 -   Les flots de la pensée m'ont balloté et jeté d'un endroit dans un autre,

        Dans une ile du désert située au milieu d'une mer de sable ,

        Je suis entré dans une ville de Grecs qui donne sur la mer,

        Au mois de janvier dernier; la musique empêchait les habitats de dormir,

  5 -   Toutes les nuits, j'entendais le chant des cithares, des hydraules

         Et des harpes, qui retentissait devant le palais des princes.

         A l'heure où le sommeil est agréable, la musique s'étendait distinctement;

         La voix joyeuse des cors m'empêchait de dormir.

         Cependant que les passants ralentissaient leur marche et que le bruit de leurs pas se mourait,

10 -  Le tumulte cessa, le silence domina, et il devient possible de goûter les sons de la cithare,

        Et la ville tout entière devient une véritable taverne :

        La musique transforma la nuit en jour.

        Chacun inventait en apprenait toutes sortes de chansons,

        Tout le monde était acharné par sa propre voix et trouvait sa mélodie agréable,

15 -  Les sons éclatants de leur bouche ressemblaient à ceux des cithares,

        Et les chanteurs imitaient avec la voix le timbre des lyres.

        Le mois de janvier remettait en  mémoire  la différence des dignités;

        La musique n'y cessait pas, nuit après nuit.

        Au-dessous de la fenêtre des gouverneurs et devant la porte des princes;

20 -  Chaque nuit on installait les instruments;

        Rien ne manquait à l'hydraule pour ressembler à un homme,

        Et ce n'est que par la parole que l'homme se distinguait de la cithare :

        Les instruments de musique étaient comme des hommes sans paroles et sans raison

        Qui cherchaient à parler en resserrant leurs cordes.

25 -  Les hommes les touchaient et les enveloppaient de leurs mouvements;

        Les instruments semblaient vouloir raconter une histoire banale,

        Mais leur langue ne pouvait plus rien articuler; leur voix était comme celle d'un homme

        Qui veut prononcer un discours bien préparé, mais se trouve sans lèvres et sans langue.

        Avant l'aube, les pauvres gens accouraient et se pressaient devant la porte des riches,

        La flûte s'accordait avec la langue, et les lèvres avec l'hydraule,

        Pour faire sortir comme d'une seule bouche le chant demandé.

        Par sa forte voix , l'hydraule dominait les autres sons délicats,

        Mais s'y accordait parfaitement pour que le chant atteigne la hauteur des palais;

35 -  Dénué de jugement et de parole, l'instrument s'unissait aux hommes pour porter au loin leur voix;

        Le très doux concert que j`ai était merveilleux,

        Un jour que je dormais profondément et que je ronflais,

        Le chant de l'hydraule retentit: je me réveillai en sursaut,

        Et je me levai avec mes frères pour les exercices de la prière.

40 -  Et voilà que nous arrivons  au psaume qui se récitait à cette heure-ci:

       .  .  .  .  .  .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .  .    .   .   .

           '' Il est juste de louer le Seigneur et de louer ton nom, O très Haut''.

        Mais le chant de la délicieuse hydraule attirait mon esprit,

        Comme si les cordes de la lyre de mon âme s'étaient desserrées : cette musique me plaisait; 

65 -  A ce moment le psaume me revint à l'esprit et resserra mes cordes trop faibles ... 

120 - Demandons au Dieu vivant de nous accorder d'être à sa droite le jour de son avènement,

         Que sa grâce me comble par l'intermédiaire de ses amis

         Ainsi soit-il. 

Il est vraisemblable que ce poème rapporte des faits réellement vécus:

Issac, arrivant dans son monastère d'Antioche, n'y peut dormir tant la ville est bruyante la nuit(2); sans relâche, les cors , les harpes, les  cithares, les orgues hydrauliques se font entendre devant la porte des riches demeures que les pauvres assiègent dans l'espoir de quelques aumônes. Il est signalé que le son strident de l'hydraule domine nettement le chant des autres instruments: on l'entend jusque sur les toits des palais; il réveille même Issac livré au sommeil. 

1 - Nous devons la traduction à un érudit libanais, à qui nous exprimons notre connaissance. Le texte syriaque à été publié, avec une adaptation latine pas toujours exacte, par G. Bickelt, Issac d`Antioche, Giessen , 1877, p 294 et suiv.

2 - Les villes du Proche- Orient avaient toujours été très bruyantes du fait des joueurs d`instruments : Philostrate , IV, 2 .