Conclusion La science et la philosophie arabe favorisèrent dès l'an 1000 l'éveil d`une Europe devenue au XXe siècle un ferment pour le renouveau arabe.
L'activité philosophique et scientifique des Arabes, au Moyen Âge, telle que nous avons pu la ressusciter, dans les domaines les plus variés, grâce à de nombreux témoignages vivants ou à travers la lecture de multiples«Traités» significatifs, reste très attachantes pour nous, car, selon l'expression de C. Cahen c`est en face d'une «science vécue» que nous nous trouvons placés et ce sont des exigences philosophiques et scientifiques authentiques qui nous sont proposées. Les arabes se sont appliqués, en effet, «à confronter les concepts grecs avec l`expériences» (R. Arnaldez). Un siècle à peine après l'annonce en langue arabe d'un message religieux, qui , en définitive, allait faire surgir une civilisation, Jabir ibn Hayyan, né en 721 en Iraq, recommandait:« Le secret de la perfection dans cet art - il s'agissait des sciences naturelles et particulièrement de la chimie- réside dans la manipulation et l`expérimentation...».
Notre Chayk nous avait aussi appris qu'en médecine le praticien se réfère d'abord à sa science ('ilm) pour donner un diagnostic, puis entreprend une section ('amal) en ordonnant un traitement pour tenter d'enrayer le mal. Mais citant un Ancien, il disait également: L'homme dont la science n'est pas suivie d'action est comme un arbre feuillu qui ne porte pas de fruit.»
De leur côté, les philosophes arabes ont perpétués une tradition de réflexion,où, selon l'expression, «l'homme, étant un problème pour l'homme (inna l-insana achkala `alayhi l-insan)», ne conquiert sa dignité qu'en tentant de dominer les déterminismes qui pèsent sur lui et qu'en se soustrayant, au moins momentanément, par la pensée et l'action aux pressions économiques, politiques, intellectuelles et sociales. Ainsi la pensée arabe nous permet-elle de prendre de la hauteur, tout en s'incarnant dans des personnages contrastés, comme cet historien-philosophe Miskawayh qui, au Xe siècle, apparaissait comme «un Sage suffisamment libéré des contraintes de la vie pour s'adonner à cette poursuite abstraite d'un idéal contemplatif» ou, au contraire, comme son contemporain al-Tawhidi, homme de lettres-philosophe «obsédé à la fois par l'image pure de l'homme parfait (al-insan al-kamel)- thème de base de l'humanisme arabe - , telle que la maintenait vivante les enseignements de son mître Abu Sulayman, et par l'atmosphère d'hypocrisie, d'intrigues, de luttes d'intérêt, bref d'immortalité où il était obligé de se retrouver une place».
Aussi n'est-il pas étonnant que les Arabes aient cultivé également les sciences humaines: la psychologie, « science de l'âme ('ilm al-nafs); la physiognomonie ('ilm al-firasa), qui est l'art de connaître le caractère de l'homme d'après sa physionomie: oeil, front, sourcils [...]; la géographie humaine, qui englobe l'étude comparatif de toutes les civilisations connues et des systèmes chronologiques des différents peuples, comme l'oeuvre d'Al-biruni; l'anthropologie culturelle amorcée avec l'examen des mérites respectifs des nations; la linguistique et la phonologie; l'histoire, enfin, où Ibn Khaldun est reconnu, aujourd'hui, comme un précurseur , au XIVe siècle, de la méthode historique et sociologique moderne, quand il recommande, par exemple, à l'historien de faire preuve, avant tout, d'esprit critique: «Sache que le véritable objet de l`'histoire est d'instruire de l'état social de l`'homme, c`est-à-dire de la civilisation et de la vicissitudes qui peuvent affecter la nature de cette civilisation [...]. Lorsque l`esprit reçoit avec impartialité une information, il l'éprouve et l'examine comme il se doit jusqu'à distinguer clairement si elle est véridique ou mensongère [...].Ce qui introduit le mensonge dans les informations est la trop grande confiance envers ceux que l'on suit:(il convient ) d`exercer, à cet égard, son esprit critique[...]»
Science et philosophe arabes portèrent leurs fruits, qui ne manquèrent pas d'être remarqués, dans une Europe appelée à connaître son propre éveil. Trois siècles et demi après l'éclosion de la civilisation arabo-musulman - qui avait si intelligemment assuré sa fortune en assimilant en arabe, les connaissances des anciennes civilisations du Moyen -Orient-, l'Europe ressentit la nécessité d'effectuer une semblable démarche en intégrant, notamment en latin, les connaissances anciennes qui venaient de fructifier dans la langue de l'Islam. Un des premiers pionniers à profiter de la science arabe fut un auvergnat d'origine modeste, Gerbert - pape de l'an 1000- né en 983, à une dizaine de kilomètres d'Aurillac[...]. Vers 967, il séjourna au monastère de Rippol en Catalogne, où il étudia , dans des ouvrages arabes, les mathématiques, et l`astronomie et utilisa ainsi les chiffres arabes et peut l'astrolabe.Que d'Européens illustres jalonnent l'histoire de cette nouvelle ère de traduction qui fut inaugurée, non plus, comme au VIIIe siècle en Orient, pour traduire du grec, du persan, de l'indien, du syriaque en arabe, mais en Occident, du Xe au XIIIe siècle, pour, surtout, traduire de l`arabe en latin, en hébreu, ou en catalan. On n'allait plus chercher la science à Jundichapur, mais la science arabe à Carthage, à Tolède, à Séville, à Palerme pour qu'elle fructifiât à son tour, notamment dans les écoles de médecine, en Italie, à Salerne et, en france, à Montpellier. C'est là que se distinguera un Catalan du XIIIe siècle, Arnaud- originaire de Villeneuve, bourgade proche de Montpellier - à la fois arabisant et hébraïsant, qui pratiqua la médecine, l'astrologie et l'alchimie. Un siècle auparavant, '`italien Gérard, né à Crémone en 1114, fut un de ceux qui surent apprécier à sa juste valeur la science arabe et fut ainsi en mesure de traduire environ soixante-dix ouvrages scientifiques, ce qui était, pour la culture européenne de cette époque un évènement considérable.