source Marc Bergé "Les Arabes"

La vocation philosophique et scientifique des Arabes s'est manifestée dans l'histoire de façon rapide et décisive.

La langue arabe devenue universelle joua le rôle du grec d'autrefois pour transmettre le savoir. 

Rôle exemplaire des traductions en arabe

Attitude positive de deux langues sœurs, le syriaque et l'arabe, vis-à-vis du patrimoine philosophique et scientifique grec, mais suprématie culturelle de l'arabe 

La création d'une Empire arabe, dès la mort du prophète Muhammad, en 632, devait bouleverser la carte linguistique du Proche-Orient. Après le grec-langue officielle de la Syrie placée sous la domination de Byzance -et le persan ancien (Pelhevi), la langue du pouvoir sassanide en Mésopotamie, ce fut au tour de l'arabe, langue de l'Islam, de s'imposer comme langue écrite et parlée  à usage universel.

Un soif d'apprendre  déclenche un important mouvement de traduction arabe

Les traductions d'ouvrages grecs en syriaque remontent au Ve siècle, dans le cadre de l'école d'Edesse où Aristote était déjà étudié dans cette langue. Les Arabes eurent donc le choix aux cours des siècles entre deux voies:ou bien traduire directement dans leur langue les ouvrages grecs, ou bien le faire à partir d'une première traduction en syriaque quand celle-ci existait. Mais comment naquirent ces vocations de traducteurs? l'exemple syriaque était là, mais à lui seul il n'explique pas ce goût des Arabes pour le livre, la lecteur et la science.

Aux cours de leurs premières conquêtes, les Arabes découvrirent les bibliothèques et leur richesse en ouvrages. Ainsi, ayant acquis progressivement une grande masse de livres - il faut préciser à ce propos que l'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie par les Arabes n'est qu'une légende, - ils fondèrent dès l'époque umayyade  des  «Maisons de la Sagesse (Bayt al-Hikma)». Si selon la tradition celle de Mu'awiya (661-681) fut la première en date, c'est la «Maison de la Sagesse» de son petit-fils khalid Ibn Yazid, connu pour sa bibliophilie, qui fut la plus célèbre à cette époque.

Ainsi jusqu'à la fin des Umayyades, les bibliothèques arabes, nées avec cette dynastie, s'enrichirent non plus seulement de livres acquis en divers endroits mais aussi de leurs traduction réalisée sur place. L'élan était donné, et avec la nouvelle dynastie 'abbasside, il ne devait que s'amplifier et se préciser. Les livres avaient donné accès à la science, et l'approfondissement de celle-ci exigeait la généralisation du mouvement de traduction.

Le calife Al-Mansûr, au cours de son long règne de vingt et une années (754-775), comprit aussi la nécessité théorique et pratique d'encourager les traductions:

« le premier parmi les califes, écrit al-Mas'ûdi, il réunit à sa cour des astrologues [...]. Un astrologue mage, Nawbaht, vécut auprès de lui, abjura entre ses mains et fut le chef de cette fameuse famille (de savants)  des «Nawbathi[...]. C'est aussi par ordre d'Al-Mansûr qu'on traduisit pour la première fois en arabe des ouvrages en langue étrangère, tel que Kalila wa Dimna et le  (livre indien) Siddanta (ouvrage de base pour l'établissement des tables astronomiques), ainsi que différents traités d'Aristote sur la logique etc, "l'Almagest" de Ptolémée," le Livre d'Euclide", "le Traité d'arithmétique" et plusieurs autres ouvrages anciens, grecs, byzantins, pehlevis (oersanso et syriaques. Une fois en possession de ces livres , le public les lut et les étudia avec ardeur[...].Dès son avènement au trône , al-Mansûr s'adonna à la science (religieuse et profane) .»  

 Bagdad, creuset d'une science et d'une philosophie renouvelée

Les premiers califes 'Abbassides et particulièrement al-Ma'mûn  encouragèrent les recherches  philosophiques et scientifiques et leurs applications.

Sous le calife Harûn al-Rachid (786 -809), célèbre en Occident par les Contes de Milles et Une Nuits, le mouvement philosophique et scientifique, né d'un esprit individuel d'ouverture encouragé par une volonté officielle d'enrichissement culturel concrétisée dans le travail des traductions, ne fit que s'amplifier. « Le IXe siècle, en effet, note L.Leclers ne s’écoulera pas que les Arabes n'aient en leur possession toute la science de la Grèce, ne comptent parmi eux des savants du premier ordre... et ne montrent dès lors, pour la culture des sciences exactes, une amplitude que n'eurent pas (leurs ) initiateurs, désormais dépassés.» Toute cette science de la Grèce, traduite, à laquelle s'ajoutaient les sciences indiennes et persanes ouvertes sur la pensée chinoise, représentait un vaste héritage cohérent.

Une œuvre de grande envergure allait être accomplie de par la décisions des califes appuyée par un élan d'enthousiasme largement partagé: les Arabes, par un travail de recherche persévérant et critique, allaient faire gagner quelques siècles au renouveau futur de l'Occident chrétien, et c'est à la splendide ville de Bagdad qu'échut l'honneur d'être le premier creuset d'une telle science renouvelée.

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