L’esthétique (علم الجمال ) ‘Ilm al-Jamal

Les fondements du beau, l'esthétique et les «canons» de la beauté physique 

On trouve, chez les écrivains arabes, des réflexions sur les fondements du beau - l'esthétique ('ilm al-jamal). Ainsi, comme l'explique si bien  al-Jahiz, on peut à partir d'expériences esthétiques concrètes, telles que «le degré de beauté» du corps humain ou la splendeur « des édifices de diverses sortes de tapis, des tissus et des vêtements et jusqu'aux  canaux dans lesquels coule l'eau», tenter d'expliquer ce qu'est la beauté. Partant de l'expérience de la beauté physique, il affirme:

" Le degré de beauté (du corps humaim) ne saurait être fixé que par un regard expert, un oeil exercé et l'expérience [...]. La beauté en effet est trop subtile et délicate pour être saisie par n'importe qui [...].

"Je vais essayer de vous expliquer la beauté; c'est la plénitude et la proportion et, par plénitude, je n'entends pas désigner le dépassement des justes proportions comme, s'agissant de la hauteur de la taille, de la minceur du corps, de la grosseur d'un membre ou de la grandeur des yeux ou de la bouche, tout ce qui dépasse les dimensions de ces organes chez les individus bien proportionnés; ce surplus, en effet, quand il existe, représente une diminution de la beauté, même si l'on considère qu'il ajoute [qualitativement] quelque chose au corps. Les choses de ce mode ont des limites qui les cernent et bornent les proportions qui leur sont imparties; tout ce qui, physiquement et moralement, dépasse ces limites, même la religion et le sagesse, lesquelles sont les meilleurs des choses, est laid et  répréhensible"    

Sur le même sujet Charles Pellat se basant sur le traité d'Al-Jahiz signale: "Quant à la juste proportion, c'est l'équilibre(wazn) d'une chose et non sa quantité, c'est par exemple, pour la terre, l'égalité du sol, pour les âmes, l'homogénéité de leurs parties, pour le physique humain, l'équilibre des éléments de sa beauté; il ne faut pas que l'un d'eux soit disproportionné par rapport à un autre: par exemple de grands yeux  avec un petit nez retroussé, un grand nez avec des petits yeux et un menton fuyant, une grosse tête et un large visage sur un corps malingre et chétif, un dos long avec des cuisses courtes, un dos court avec de  longues cuisses, un front dont la hauteur dépasse celle du bas du visage." 

Ainsi furent établis des «canons» de la beauté - et, notamment, de la beauté féminine - , qui varièrent dans les détails d'une époque à une autre. Pour être belle, la femme devait être grande ou de taille moyenne. Les cheuveux devaient être longs; le front large, lisse; les sourcils longs et bien dessinés, comme un trait de plume, mais sans se rejoindre; les yeux noirs et ombragés de long cils; la bouche vermeille; les lèvres fines, les dents blanches, comme des pétales de marguerite; les seins, comme des grenades, devaient remplir la main, sans plus et sans plier. Les Milles et Une Nuits  nous suggèrent un portrait de la femme idéal: « Une taille bien prise et élégante; des yeux alanguis de gazelle, des sourcils dessinant des arcs parfaits; une bouche aussi petite qu'une bague, des lèvres de corail, des dents de perle, un éclat à mortifier la lune dans son plein et à la rejeter dans l'ombre.» (1)  

1- W Marçais - L'Art de l'Islam - Paris 1946